-"Un Donjon ?"

-"Vous pouvez emmener un bataillon, une armée si cela vous convient votre Altesse, mais seul le prétendant au trône se doit d'être absolument présent."

-"Je ne prétends à aucun trône, Étranger."

-"N'ayez crainte, je ne parle pas bien entendu de terres ni de frontières, mais du monde entier. Ceux qui sont choisis par les Djinns peuvent gouverner le monde tout entier..."

-"Conduis-moi à ce Donjon. Gaynn, Yuwei, vous venez avec moi. Maître Shuei Wong, je laisse l'Empire et ma sœur entre vos mains."

-"Nous allons nous reposer ici, ce serait mieux pour tout le monde. Teronar, permettez-moi de vous appeler ainsi, nous partirons demain à l'aube, votre voyage ne fait que commencer."

Dire qu’il n’aimait pas du tout la situation était bien loin de refléter le mal être qu’il ressentait et qui lui tordait les tripes. Yuweï était un individu qui se fiait autant à son instinct qu’à son sens de la réflexion froid et calculateur, et pour autant qu’il appréciait ce voyage hors des frontières qui rompait avec la monotonie qu’était devenu son quotidien, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il aurait été bien plus à son aise si son seigneur et maître avait cru bon de préparer quelques aménagements pour ce voyage. Ecartant un rideau de l’auberge qui devait les héberger pour la nuit, le vassal du régent impérial releva une fois encore combien cette cité et ce pays lui était étrange…et dangereux. Il faisait une certaine réaction allergique lorsqu’on en venait à lui parler de fanatisme religieux. On tuait bien plus aisément son prochain au nom d’êtres supérieur que pour défendre sa vie. Au moins Gaynn était-elle avec eux. Bien que travesti en homme, Yuweï ne pouvait pas manquer d’observer qu’aucun subterfuge ou maquillage n’aurait pus entièrement dissimulé cette touche de beauté sauvage et guerrière qui émanait de sa collègue. Bien entendu aussi poétique que pouvait être ses pensées il se gardait bien de les lui adresser, il tenait à garder ses os intact. D’un caractère austère et froid, sa comparse n’était guère connue pour répondre aux épanchements de ses camarades masculins par des joues rougissantes et un air gêné. Trois semaines alitées à se remettre du choc était le sort le plus probable qui attendait l’inconscient entreprenant qui aurait pris à la légère les capacités légendaires des membres du peuple Fanalis. Il ignora donc sa collègue pour poursuivre son inspection des lieux, succombant à sa prudence naturel. Vêtu d’une cape informe et d’un turban qui lui masquait presque entièrement le visage, il se demanda ce que leur hôte penserait en devinant la présence d’un fer de lance reposant le long de son bras droit, sans compter ses stylets de combat. Pour le moment cependant lui venait plus à l’esprit le motif de leur escapade précipité. Un donjon, les djinns, un pays étranger…autant de motifs vagues qui puait le mysticisme, le mystère et le traquenard. Des rumeurs étaient parvenus à ses oreilles bien entendu, mais Yuweï ne se sentait pas prêt à risquer la vie de son seigneur, ni la sienne, sur le fondement de simples racontars sans doute le produit d’esprit fuyant de pauvres paysans.  

Son maître néanmoins pensait le contraire. Yuweï connaissait son seigneur, et son appétit pour l’aventure et le désir de s’exiler des charges de son rang étaient des raisons plus probables à cette excursion qu’une réelle croyance en un pouvoir mystérieux résidant dans une Tour mystérieuse. Il devait reconnaître que l’étranger qui avait fait irruption à la Cour avait su vendre son affaire. « Une quête qui déciderait des élus à gouverner le monde ». Une phrase qui ne pouvait laisser indifférent son seigneur, même si celui-ci régnait déjà sur un des Empires les plus vaste de cette terre. Tout était rempli d’éléments suffisant pour une belle saga épique, le genre que l’on raconterait aux banquets en exagérant sur les qualités des dits héros. Ce qui assombrissant l’humeur de Yuweï était que le plus souvent les héros de ces sagas finissaient par périr. Or fût-ce une chanson conté en son honneur et sa gloire, il espérait ardemment que celle-ci ne vint pas relater le funeste sort qu’il avait subi. Il termina son inspection et revint vers ses compagnons. Il hocha la tête en direction de Gaynn.

-Les lieux m’ont l’air convenable…Teronar. Le nom lui était étranger à l’oreille et il ne lui plaisait pas de sacrifier aux honneurs en parlant de façon aussi légère au régent impérial, mais si cela pouvait lui éviter de se faire trucider dans une ruelle sombre il sacrifiait allègrement aux usages. Je pense qu’il vaut mieux que nous dormions tous dans la même pièce pour plus…de « convivialité ».

 Il ne tenait pas à exiger des considérations de sécurité devant l’aubergiste qui se trouvait non loin sans trahir le statut de la personne qu’ils accompagnaient. Il poursuivit sur un ton plus bas, de manière ne faire porter sa voix qu’aux oreilles de ses compagnons.

-Je n’aime guère cela monseigneur, si vous pensez faire votre quête je vous suggère que nous nous aventurions dès demain aux aurores à ce « Donjon », ou cette nuit même. De ce que l’on m’a rapporté sur ce pays l’endroit est considéré comme sacré, et je ne tiens guère à nous frayer un chemin aux milieux des fanatiques de ce pays. Qui sait comment ces pèlerins réagiront à notre entreprise ?

Tant de dangers pour tant d’incertitudes. Yuweï était prêt à parier qu’ils risquaient leur vie pour simplement entrer par effraction dans l’un des nombreux lieux saints du pays où ils se rendraient coupable d’un quelconque blasphème, pour ensuite se faire lapider par une foule en délire. Il ne se considérait pas comme brave, mais il ne laisserait personne porter atteinte à la plus grande incarnation d’espoir et de grandeur auguste que ce monde avait. Son seigneur devait apprendre à ne pas considérer sa vie de manière aussi triviale. La ville avait beau posséder des extérieurs et des atours enchanteurs, des jardins attirants et son architecture glorieuse. Il en venait  même à apprécier la culture de ce peuple qui en venait à interdire la pratique de l’esclavage. Mais tout ceci suait l’image d’une façade trop propre pour être cru, or en matière de faux-semblant Yuweï connaissait son affaire.