Journée d'été, Année 685

Devant la résidence Liang

Les rayons du soleil sortaient doucement de leur cachette pour se refléter sur la fenêtre de la chambre. Elle était filtrée par les volets qui semblaient fermées depuis voilà bien longtemps. Est-ce que quelqu'un vivait réellement à l'intérieur de ce bâtiment ? Il était difficile d'en juger étant donné la mystérieuse aura qui s'en dégageait. Les enfants du quartier croyaient tous que cette chambre était hantée. Personne n'osait s'y aventurer. Pourtant, tout allait bien à l'intérieur. La résidence était tout ce qu'il y a de plus animé et de plus convivial, mis à part LA chambre... Elle était sombre et lugubre. Parfois, on pouvait apercevoir quelques ombres dansantes sur les murs, mais ce n'était que lorsque les volets étaient relevés, ce qui arrivait rarement.

Un petit garçon s'aventura dans la rue. Il était au marché du village avec ses amis, mais il avait prévu de faire un petit tour chez lui avant de les rejoindre au parc. Il passait devant cette maison tous les jours. Quotidiennement, il apercevait la chambre, obscure et effrayante, pensant à chaque instant que des yeux malveillants l'observaient pendant qu'il retournait vers sa famille. Était-ce la réalité ou non ? Personne ne savait ce qu'il y avait réellement dans cette pièce. Peut-être y avait-il un monstre de grande envergure ? Peut-être n'y avait-il rien, après tout, ce n'était que des rumeurs basées sur un volet constamment clôt.

A l'intérieur

- Il serait peut-être temps d'aller la voir pour qu'elle sorte non ?
- C'est trop tôt pour elle, ce qu'elle a vécu est indescriptible, laisse-lui du temps...
- Ca fait trois mois maintenant qu'elle est dans cet état, il faudra bien qu'elle s'en remette un jour.
- Elle ne s'en remettra jamais, tu le sais très bien.

La jeune femme qui parlait avait recueilli Mei lorsqu'elle l'avait trouvé dans la rue, un soir très froid d'hiver où elle dormait près de son frère. Elle avait tout de suite compris la situation et n'avait pas cherché à en savoir davantage. Cette petite fille devait être sauvée coûte que coûte, même si elle n'avait pas réussi à garder son frère en vie.

Hua, comme s'appelait la jeune mariée qui avait recueilli Mei, l'emmena chez elle en expliquant la situation à son mari. Elle l'installa dans la chambre et s'occupa d'elle depuis ce jour. Pendant les premiers jours Mei ne voulait rien manger. Elle refusait toutes sortes de nourritures et de boissons, se laissant mourir à petit feu.

- Elle ne veut pas vivre. Je ne sais pas ce que je dois faire.
- Elle n'a pas de famille ?
- Je ne sais pas. Elle n'a pas dit un mot depuis que je l'ai trouvé dans cette ruelle. J'ai l'impression que son frère était sa seule famille... Je vais aller voir ce qu'elle fait.

Dans la chambre de Mei

La chambre est vide. Il n'y qu'un lit double et un bureau. La chaise n'est plus réellement en état d'être utilisée. Mei est allongée sur le lit, elle observe le plafond. Les reflets du soleil tapaient sur les murs, laissant danser les ombres dans une ronde qu'elle ne comprenait pas. Elle se leva, s'assit sur le lit comme elle le pouvait. Elle n'avait plus beaucoup de forces alors c'était difficile pour elle de tenir. La jeune fille se concentra un instant, et une créature difforme commença à se former à côté d'elle. Elle ne ressemblait à rien de connue, mais, petit à petit, les traits se caractérisèrent et au bout de quelques minutes on put reconnaître une personne. Un petit garçon apparemment. Pendant que Mei opérait de sa magie, Hua entra dans la chambre sans un bruit et assista à la scène sans rien dire.

- Tu sais petit frère, je ne t'ai rien fait après ta mort. J'y ai pensé, c'est vrai, mais je n'ai rien fait. Je m'en veux tellement d'avoir penser quelque chose d'aussi horrible. Pendant les jours qui ont suivis j'ai fait en sorte de survivre, mais je ne trouvais pas de nourriture, alors j'ai commencé à me nourrir comme je le pouvais, même si ça me faisait souffrir. Mon corps a terriblement souffert, mais le tien n'a rien eu. Enfin... tu sais que je ne peux arrêter le processus, mais je ne t'ai rien fait de mal.

Mei se mit à pleurer en pensant ne plus jamais pouvoir se regarder dans un miroir un jour. Elle pensait être une horrible personne d'avoir pu songer à faire quelque chose d'aussi infâme.

- Pardonne-moi s'il te plaît. Pardonne-moi de n'avoir rien pu faire pour te sauver.

Hua observait la scène en silence. Elle ne savait pas si elle devait intervenir ou non. Mei semblait enfin s'ouvrir un petit peu mais ce n'était pas suffisant.

- Mei ?

La créature disparut subitement, et la pièce fut à nouveau vide comme s'il ne s'était jamais rien passé.

- Je ne m'appelle pas Mei. Mon nom est Misory.
- Pourquoi veux-tu changer de prénom ? Pourquoi changer ce que tu es ?
- Mei est une horrible personne. Elle ne mérite pas de vivre.
- Un jour tu accepteras ce qui t'es arrivée. Tu comprendras que tout ceci n'est pas ta faute et que tu n'aurais rien pu faire pour arranger les choses.
- Vous ne savez rien. Vous ne savez pas qui je suis et ce que je suis capable de faire.
- Je ne sais pas qui tu es, mais j'ai pu lire au fond de toi, et je sais que tu es une personne bien.
- Les gens bien ne finissent pas de cette manière.
- La vie est telle qu'on finit tous un jour ou l'autre par perdre pied. N'y voit pas quelque chose de personnel. Ce qui t'est arrivé est une tragédie, mais tu ne l'as pas mérité.
- …
- Tu devrais continuer à vivre afin de prouver aux autres que tu peux réussir à contrecarrer le destin. Tu vivras pour ton frère comme celui-ci aurait du vivre si la vie avait été plus clémente avec lui.
- …

Pendant un long moment, Mei ne dit plus un mot. Hua fut persuadée qu'elle allait retomber dans cette léthargie qui l'avait rendue muette pendant si longtemps. La maîtresse de maison allait repartir dans la cuisine quand Mei se retourna brusquement vers elle. Elle la regarda, les yeux emplis de larmes, et se jeta dans ses bras. Les deux personnes restèrent longtemps dans cette position réconfortante. C'était un début vers le rétablissement.

Mei lui raconta qu'elle avait une famille, une mère et un père, mais qu'elle ne voulait pas retourner les voir car elle avait honte. Ils la jugeraient coupable et s'en prendraient à elle. Ils ne voudraient plus d'elle, ils la rejetteraient, car elle n'était pas digne de faire partie de cette famille maintenant. Elle avait tout gâché et elle le savait.

Pendant un long moment Hua la réconforta, mais hélas cela ne suffisait pas. Mei devait repartir d'ici et continuer à vivre sa vie afin de pouvoir s'en remettre. Peut-être qu'au bout d'un moment, oui peut-être quelques secondes, elle pourrait oublier... Et se pardonner.

Hua Liang
Son Mari
Misory/Mei Wang