Mes prunelles, rarissime de par l’essence émeraude cristallisée dans mes iris, contemplaient le Palais gigantesque qui se dressait à ses pieds. Mon muscle cardiaque battait à plus rompre, siégeant au cœur d’une cage étroite composée d’os solides et résistants. Ma respiration, légèrement plus rapide qu’à l’habitude, se trouvait être fluide, mais marquée de soupirs aléatoires. L’excitation ainsi qu’une certaine once d’angoisse s’affichaient contradictoirement dans mes comportements physiques. Mes mains serraient et desserraient le pommeau de mon arme disposée dans son fourreau de cuivre tandis que je me se mordillais légèrement l’intérieur des joues, libérant un fin arome métallique. Ma tension intérieur montait plus l’attente durait.

Je n’avais pas traversé les terres de l’antique Empire d’Arachosia seule. L’intérêt de parvenir jusqu’à cet endroit ne s’avérait pas être anodin ou dépourvu de sens, comme certaines personnes que nous avions croisé sur notre chemin pourraient le croire. Un donjon, celui du Djinn nommé Caim, s’y dressait, défiant tous ceux qui se jugent en mesure de le conquérir. C’était vraisemblablement le cas pour Lucius Armenius, fils de l’Empereur actuel de Volteran. Pendant un bref instant, là, plantée devant ce bâtiment énorme, je regrettais d’avoir accepté de lui prêter main forte. Angurva, que je tenais dans mes mains, me rappela aussitôt la raison de ma venue.

Les temps sont durs pour les habitants de notre capitale, le sénat empiète de plus en plus sur les biens des nôtres, accumulant toutes les richesses du peuple à leurs pieds. Se tourner vers des puissances accrues est désormais nécessaire pour rappeler à ces avares à qui appartiennent vraiment ces terres. Les risques sont présents, évidemment, il est fort possible qu’aucun d’entre nous ne parviennent à ressortir indemne de ce donjon. Néanmoins, avons-nous réellement le choix ? Les épreuves que nous aurons à surmonter ont été conçues pour ne pas l’être, justement. Je préfère cependant mourir plutôt que de continuer à endurer ce calvaire, impuissante.

Mon regard se décrocha du temple pour se tourner vers mes collègues, trois jeunes hommes dont deux m’étaient encore inconnus. Leur nom ainsi que leur profession, c’est tout ce que je savais de ces individus qui risqueraient eux aussi leur vie pour la cause du peuple. Au moins j’avais la chance de finir mes jours aux côtés de beaux gosses, ça pourrait être pire.


« Je ne sais pas ce qu’il y a là-dedans, messieurs, toutefois nous devons prendre notre courage à deux mains pour l’affronter. Ça ne risque pas d’être une partie de plaisir, au contraire. »

Certains ont jugé que nous étions fous de ne serai-ce qu’imaginer pouvoir conquérir ce donjon et repartir saufs, le djinn entre bonnes mains. Peut-être ont-ils raison, après tout. L’idéalisme coule dans mes veines, baigne mes canaux artériels et vasculaires. C’est lui qui m’a mené à travers les embuches ayant parsemé mon chemin, c’est grâce à ce dernier que je suis présente aujourd’hui et prête à tout pour redonner aux habitants de Volteran ce qui leur appartient de droit.

L'amour rend l'Homme aveugle, c'est là la seule conclusion que la lecture de la légende de Caim m'apporte. Le verbe et l'hyperbole sont de mise dans les récits épiques, certes, mais j'avoue ne pas comprendre comment un mythe si pauvre en leçon peut faire briller les yeux d'un Roi. Roi qui, par ailleurs, ne l'est pas encore. Seulement, mon rôle est d'anticiper, aussi le considère-je comme un roi, et c'est aussi pourquoi les fines gerbes de fumée qui s'échappent de ma bouche viennent titiller l'atmosphère. La nicotine m'aide à réfléchir, et j'ai une explication très scientifique à cela, mais ça ne vous intéresse sûrement pas. Revenons un peu sur cette fameuse anticipation. Comme tout lieux épique, le 53ème donjon trouve ses racines dans la légende qui le façonna. Caim perd l'esprit pour se soumettre à Amy; Amy manipule le pouvoir de Caim; Caim est privé de l'amour; Amy ne peut plus l'utiliser. Caim infligera donc à notre prince les tourments dont il fût victime, ça tombe sous le sens. Je pense que l'amour n'est pas une épreuve immédiate, aussi je pense que c'est de la folie dont nous devrons nous prémunir. Mais Caim est sans doute un être malin, bien que faible d'esprit, aussi ne sous-estimons pas sa capacité d'adaptation, et affûtons la nôtre pour mieux le berner.

Mieux vaut ne pas tirer de conclusion hâtive, laissons ça aux mathématiques, et gardons notre esprit de scientifique: Toujours s'attendre à la surprise du Vivant. Pour l'instant, je n'ai rien à faire, je préfère que les lieux ma foi aussi antiques que les légendes nous observent et ne voient en nous que le candisme apparent dont notre prince fait preuve. Laissons-le parler, et dictons les mots dans le secret.

-J'ai bien peur que nous n'allions trop vite...

Notre fougueux prétendant est trop impatient.

-Il serait judicieux que nous établissions un itinéraire sans quoi nous risquons de nous trouver prisonnier de la lave et de nous perdre. Je propose que nous nous surélevions et que nous discutions ensemble du chemin le moins dangereux.

J e sors une feuille vierge et un crayon, et, cherchant un bout de ruine assez haut pour me permettre de surplomber le site, je me dis que, finalement, ce donjon est une bataille de l'esprit: Il faut garder la tête froide et agir soigneusement, sinon, gare à la chute.

La gigantesque porte du donjon s’ouvrit avant de se refermer avec fermeté derrière le dernier d’entre nous, provoquant un bruit assourdissant qui s’estompa toutefois rapidement. A l’intérieur, l’écho de nos pas retentissait sur les parois des murs adjacents. Le silence prédominait au cœur de notre petite troupe jusqu’à ce que l’un des deux inconnus élève la voix, s’arrêtant de marcher simultanément. Mes pupilles colorées d’une émeraude couleur se posèrent sur ce dernier, écoutant avec attention les conseils qu’il prenait la peine de donner. Prendre des précautions en établissant un plan, c’était ce que proposait le jeune homme à peine plus âgé que moi. Sagesse et patience baignaient ses paroles pleines de bon sens, m’amenant moi-même réfléchir à une solution pertinente dans le cas présent. Établir en commun les choses dont nous avons entendu parler par rapport au donjon serait certainement un bon début.

Le dénommé Sciatis évoqua la présence de lave, énoncé qui s’avérait assurément véridique dans le cas présent. Rien que la chaleur qui alourdissait l’atmosphère me laissait croire en sa véridiction irrévocable. Sinon, que savions-nous d’autre à propos de ce palais majestueux ? Son créateur est le djinn Caim, surnommé au cœur ardent. Les informations que nous possédions s’avéraient être bien minces… Le désavantage de cette situation relevait dans le fait que personne n’était jamais ressorti vivant de ce donjon mystérieux, donc nous n’avions aucune idée de ce à quoi nous attendre. Ce ne fut qu’une fois à une hauteur respectable que la possibilité d’établir un itinéraire ne se présenta à nous.


« Les sillons de lave semblent progresser plutôt rapidement, si nous ne voulons pas en rester prisonniers il faut que nous agissons vite, mais prudemment. »

Pendant une fraction de seconde, je concentrai mon magoi dans l’intention de le transformer en liquide aqueux. Modelant ce dernier, je parvins à créer un loup composé d’eau d’une hauteur avoisinant le mètre cinquante. Suffisamment gros pour laisser une ou deux personnes monter dessus. Grimpant dessus, j’évoquai à mes collègues le plan que j’avais en tête.


« Je prends la tête du groupe et vous me suivez juste derrière. A cette hauteur je pourrai voir la direction de sillons qui nous environnent et pourrai également me fier à la carte que Sandro rédigera. S’il y a des pièges, le loup marchera dedans et j’aurai le temps de sauter avant qu’il ne soit détruit. Ce sera une simple mesure de précaution, alors vous me suivez ? »

Quelques instants furent nécessaire pour tracer un itinéraire sécuritaire et lorsque ce fut terminé j’ordonnai au canin de se mettre en marche, mes alliés juste derrière. La tour érigée au centre de ces ruines abondantes s’avérait être notre destination finale.



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