Les Tullius flattaient le dos de la main des Politiciens depuis un nombre d’années incalculable. Depuis trop longtemps, ils cherchaient à s’approprier les bonnes grâces de ces magistrats afin de les garder près d’eux. Les gains qu’ils obtenaient en retour suffisaient largement à leur besoins primaires, et surtout secondaires, ce qu’ils jugeaient être une chose primordiale. L’argent ternie ainsi que son amère odeur les faisait jubiler littéralement. Sa provenance n’importait peu, en réalité ils préféraient ne pas le savoir, par peur d’avoir ne serai-ce qu’une once de regrets. Cet argent sale et gagné d’une manière totalement désopilante ne permettait que de renforcir la poigne de fer des Politiciens. Ces ingrats tiennent ma famille en laisse, trop avides et avares pour comprendre que la vie qu’ils mènent est indigne.

C’est avec un silence de plomb que je regarde de mes prunelles émeraude l’ampleur du palais qui nous sert de demeure, observant les invités entrains de s’adonner à des gloutonneries et d’autres pêchés de ce genre. Une pointe de déception transperce mon non-verbal, laissant sur mon visage pâle une expression tirant sur la contrariété se manifester. Quitter cet endroit serait probablement la meilleure chose à faire, certes, toutefois ce serait manquer de respect envers les membres de ma famille et serai sévèrement punie de ce fait. Les convives s’attendent à ma présence et comme plusieurs membres importants de Volteran s’y trouvent, on m’ordonne d’assister à ce carnage barbare et indécent. Pendant que les gens crèvent à l’extérieur, les monarques et la bourgeoisie s’empiffrent à n’en plus finir et se pavanent en exhibant leurs joyaux. Cela va finir par me rendre malade.

Mes yeux croisent par la suite ceux d’un homme dont la carrure rappelle familièrement les militaires. Je tente malgré tout d’éviter son regard jusqu’à me rendre compte qu’il vient dans ma direction… Son visage m’est inconnu, mais comme le voudraient les membres de ma famille, je bombe le torse et lui souris timidement. Une fois à ma hauteur, je dois incliner le menton vers le haut pour faire face à son visage, tant il est grand.

La soirée est à votre goût, mon cher ? Arrêtez-moi si je fais fausse route, mais il me semble que nous ne nous soyons jamais rencontré, ai-je tort ? Je me nomme Narcissa Severa, Fille d’Octavius Gaius Tullius, ravie de faire votre connaissance.

Mes pupilles noires se focalisèrent par la suite sur ses mains, travaillées et dénotant son passé de par ses cicatrices notables. Sa musculature m’évoquait autre chose, un sentiment versatile que je ne parvenais pas à identifier aux premiers abords.

Si mes observations sont bonnes, je suppose que vous faites partie de la classe militaire ? Ceci expliquerait cet œil masqué dont l’histoire est un récit que racontent les gens en éloge de vos faits d’armes peut-être ? Oubliez-ça…

Un doux soupir s’extirpa d’entre mes lèvres rosées tandis que je détournai le regard. L’embarras commençait à me gagner tranquillement… Pourquoi fallait-il que cet homme curieux ne décide de venir me parler ? Je ne me mêlerais peut-être pas suffisamment bien à la foule…

Mes prunelles colorées fixèrent le liquide bourgogne contenu dans la coupe que l’homme d’expérience venait de me proposer instinctivement. Doucement, je fis remuer le contenant, humant les doux effluves de ce produit de haute qualité avant de l’apporter à mes lèvres. Normalement, je n’avais pas l’habitude de boire du vin, l’eau me suffisant amplement. Ce n’est par politesse seulement que j’acceptais d’en prendre, jugeant qu’en boire de façon dépassant la modération ne relevait pas d’une bonne conduite. Il s’agissait d’un bénéfice luxueux que de posséder une boisson si chère. Un sourire s’enquit de mes lèvres tandis que j’écoutais les paroles suaves de mon interlocuteur, auquel j’avais apparemment visé juste en ce qui concernait sa profession primaire. Mes pupilles noires se libérèrent de la coupe cristallisée pour se diriger vers le visage de l’individu en question, dont une chevelure blonde le camouflait en partie allègrement et minutieusement.

L’ambiance de la pièce m’avait paru s’être éteinte pendant une fraction de seconde. A croire que mon interlocuteur avait gagné pour moi une certaine once d’intérêt particulier. Après tout, quand avais-je la possibilité de discuter avec des gens dont la classe n’appartenait pas à celle des politiciens ? Tout simplement jamais. Les rares occasions qui s’étaient présentées à moi remontaient à longtemps et n’avaient pas autant de potentiel à mon avis.


« Je suis pourtant une mutante, ne l’aviez-vous pas remarqué, sir Borcus ? J’ai une troisième oreille, juste-là… »


Je déplaçai ma chevelure blanchâtre pour lui pointer le côté droit de mon visage, mais ne put contenir mon fou rire, révélant ainsi mon mensonge. J’avais envie de tester cet homme, de vérifier s’il était réellement différent des autres personnes avec lesquelles j’avais discuté auparavant. Si ça se trouve, ce dernier était parvenu à me piéger jusqu’ici. Une intuition me poussait à m’avouer que j’avais tort, toutefois je n’en avais toujours pas la certitude. Je priai toutefois pour que personne d’autre n’ait entendu mes précédentes paroles, par simple précaution… Mes sourcils se froncèrent alors qu’il me faisait part de la bataille l’ayant éborgné.


« La seule bonne raison pour se battre à mon avis c’est pour la défense des peuples plus faibles, ceux qui ont réellement besoin d’aide. Je suis différente de vous, Titus, je ne possède aucune formation de combat. Toutefois, jamais je n’hésiterais à venir en aide aux plus démunis et à intervenir pour m’opposer à leurs ennemis, quels qu’ils soient. »


Échec et math. Je venais de placer mon Roi à portée de sa Reine volontairement. Si jamais mon intuition s’avérait être mauvaise, je finirais probablement mes jours au fond d’une prison misérable et aux conditions médiocres. Ce serait toutefois toujours mieux que de continuer de faire semblant d’appartenir à la bonne classe tandis que dans notre ombre se meurent d’innocents paysans devenus pauvres par notre faute… D’une longue gorgée, j’entrepris de terminer le contenu de ma coupe de vin avant de la déposer sur le plateau d’un des serveurs, m’essuyant la bouche du revers de la main. Les bonnes manières n’ont plus lieu d’être désormais. Les effets de l’alcool commençaient sérieusement à m’atteindre…